« Le regard est très mobile, bondit d’un objet à l’autre très vite,
mille fois dans une seconde s’allume et s’éteint, se coupe et reprend.
Puis, entre-temps, sans cesse il s’inverse, se retourne vers le dedans,
prend et donne, donne et prend, et sans arrêt reprend son fil, qui se
casse et se reforme, et dont les lambeaux pendent partout. Ce fil on
peut le peindre aussi. Il est magnifique ». (Jean Dubuffet,1967)
En
1975, Jean Dubuffet entame la série des « Théâtres de mémoire » (ou
aussi, selon ses termes, « Les données de l’instant »), composés
d’éléments peints isolément, étrangers les uns aux autres, puis
découpés, juxtaposés, superposés. L’ouvrage de Frances Yates « Art de la
mémoire » le passionne, et les champs de réflexion ouverts le mènent à
cette série majeure qu’il développe jusqu’en 1979.
« Je
voulais plutôt me référer au regroupement qui se fait constamment dans
la mémoire de chacun de nous et qui, dans un même instant, y mêle des
souvenirs de diverses scènes et divers évènements dans une espèce de
soupe composite…Ces « Théâtres de mémoire » visent à figurer - ou plutôt
à évoquer - cette forme cacophonique dans laquelle nos perceptions et
nos souvenirs surgissent pêle-mêle dans le théâtre de notre pensée. Il
s’y agit donc de regrouper dans un tableau des scènes et évènements
appartenant à des lieux différents et à des moments différents (et dans
des humeurs différentes) comme cela se passe dans notre mémoire. » (Jean Dubuffet,1979)
Pour l’exposition « Jean Dubuffet. Théâtres de mémoire, scènes champêtres », l’artiste réalise trois grandes sérigraphies originales pour la Pace Gallery à New York, chaque épreuve nécessitant 62 passages de couleurs (!), une prouesse technique au résultat spectaculaire. Ici, les annotations de la main de l’artiste attestent de son exigence extrême et de la relation étroite qui l’unissait à ses imprimeurs.